Les familles et associations de victimes d’accidents de la route réclamaient un changement de regard sur les drames qu’elles subissent, un changement qui vient de prendre un peu plus forme. En effet, ce mardi, l’Assemblée Nationale a adopté en deuxième lecture une proposition de loi qui pourrait marquer une nouvelle étape symbolique dans la manière dont la justice qualifie les faits de mort provoquée par un comportement à risque sur la route. Pour l’heure, cette nouvelle qualification d’infraction ne modifie pas les maximums des sanctions encourues, ni ne bouleverse l’équilibre du droit pénal, mais, déjà, vient modifier le mot employé pour désigner ces actes en remplaçant “involontaire” par “routier”.
Ce changement sémantique a une résonance profonde pour toutes celles et tous ceux qui ont perdu un être cher dans des conditions souvent vécues comme insoutenables. On sait que le mot utilisé pour nommer un fait influence la perception sociale et judiciaire de celui-ci. Dire qu’un homicide est “routier” plutôt qu' »involontaire », c’est affirmer qu’il ne s’agit pas d’un simple accident, mais du résultat d’une prise de risque délibérée. Et c’est entre autres cette attente que les proches de victimes avaient depuis (trop) longtemps.
Nommer autrement pour mieux reconnaître la gravité des faits
Avant même de regarder ce que prévoit le texte en détail, il convient de s’arrêter un instant sur l’intention portée par les auteurs de la loi. Le député Éric Pauget, en portant cette proposition depuis plusieurs mois, amène à reconnaître que la qualification d’homicide involontaire ne permet pas de rendre compte de la gravité morale de certains comportements. Lorsqu’un conducteur prend le volant alcoolisé et / ou sous stupéfiants et / ou en excès de vitesse manifeste… il sait pertinemment qu’il met en danger la vie d’autrui.
Ce que les familles vivent difficilement, c’est cette distance entre le mot “involontaire” et les circonstances du drame. Un parent qui apprend que son enfant a été tué par un chauffard ayant conduit de façon hautement irresponsable ne peut comprendre comment un tel acte pourrait être qualifié d’ »involontaire ».
C’est en cela que la proposition vise à faire évoluer les représentations. Dire qu’une conduite délibérément à risque engage une responsabilité d’une nature spécifique, que le mot “routier” permet de nommer plus justement. Vous conviendrez que, pour que les victimes puissent faire leur deuil dans un cadre judiciaire cohérent, il faut que les mots utilisés correspondent à la réalité du vécu. C’est cette adéquation sémantique qui est aujourd’hui recherchée avec cette proposition de loi.
Ce que prévoit concrètement le texte adopté
Il peut être utile de rappeler les éléments de la loi, tels qu’adoptés en deuxième lecture par les députés. Le texte ne crée pas une infraction nouvelle sur le plan technique. Il reprend les mêmes éléments constitutifs et les mêmes circonstances aggravantes que l’homicide involontaire dans un accident de la route. Ce qui change, c’est la qualification de l’acte dans les cas où la conduite est considérée comme délibérément dangereuse.
Ainsi, un conducteur pourra être poursuivi pour homicide routier s’il a causé la mort d’une personne alors qu’il conduisait sous l’empire de l’alcool ou de stupéfiants, sans permis, en excès de vitesse de plus de 30 km/h, ou encore s’il a commis un délit de fuite ou participé à un rodéo urbain. Ces circonstances sont déjà reconnues par le droit comme aggravantes. La nouveauté réside dans le fait qu’elles permettront désormais de retenir un intitulé spécifique : “homicide routier”.
Les peines encourues, elles, restent identiques. L’auteur d’un tel acte encourt jusqu’à 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende, voire 10 ans et 150 000 euros si deux circonstances aggravantes sont réunies. Le changement est donc uniquement terminologique, même si, et c’est justement ce que nous allons voir ensemble ci-dessous, cette évolution de terme pourrait bien modifier en profondeur les perceptions et donc pourquoi pas un durcissement des sanctions prononcées par les magistrats.
Interrogeons-nous sur la portée de ce changement de terme
Certains pourraient penser qu’un mot ne change rien aux faits. Pourtant, le choix des mots pourrait peut-être déterminer la manière dont un comportement est évalué. En remplaçant “involontaire” par “routier”, le législateur fait le choix d’insister sur le contexte spécifique de la route, marqué par des prises de risques pourtant connues.
L’usage du terme “involontaire” pouvait laissait entendre, à tort, que ces drames étaient le fruit du hasard ou d’une maladresse « pardonnable ». Or, comme le rappelle Arnaud Fajal, père d’une victime, il n’est plus possible de dire qu’on ne sait pas. Tout conducteur sait aujourd’hui qu’en conduisant sous l’emprise de substances ou à des vitesses déraisonnables, il met des vies en danger.
Il est donc de toute façon déjà souhaitable que la justice nomme les choses avec clarté et justesse, afin que les victimes sentent que la gravité de ce qu’elles ont subi est reconnue dans le langage judiciaire. Cette reconnaissance ne peut apaiser leur douleur, mais elle constitue un premier pas vers une forme de justice symbolique. Dans les lignes qui suivent, nous verrons que cette modification pourrait également avoir des effets indirects sur les peines prononcées, sans pour autant nécessiter une révision du Code pénal.
Comprendre pourquoi la sévérité judiciaire pourrait évoluer
Même si la loi ne change pas les seuils de peine, le fait de renommer le délit pourrait peut-être influencer la sévérité des décisions de justice. Le professeur de droit Didier Rebut, qui a participé à la réflexion autour de ce texte, souligne que le mot involontaire ne met pas en lumière la gravité des faits, ce qui peut expliquer induire une insuffisance de répression.
En effet, les peines prononcées en cas d’homicide involontaire avec circonstances aggravantes tournent souvent autour de deux années d’emprisonnement, parfois avec sursis. Cela génère un sentiment d’injustice profond chez les proches des victimes, qui ne parviennent pas à comprendre comment une conduite aussi dangereuse peut entraîner une sanction aussi faible.
Il faut que le magistrat soit amené à considérer avec plus d’attention la portée du comportement du prévenu, et cela ne peut se faire que si le droit lui en donne les moyens symboliques. Appeler les choses par leur nom, c’est déjà ouvrir la voie à un jugement plus rigoureux et, peut-être, plus sévère. Souhaitons que cette évolution sémantique inspire la justice à mieux prendre en compte le vécu des victimes et à adapter ses décisions à la réalité des faits.
Être entendu lorsqu’on est victime : un besoin fondamental
Au cœur de cette réforme, il y a aussi la parole des familles, leur besoin d’être reconnues, comprises, respectées. Ce qu’elles demandent, ce n’est pas simplement de voir les coupables lourdement sanctionnés, mais aussi que leur douleur soit entendue et cela commence par passer par les mots que la société utilise pour désigner l’épreuve qu’elles subissent.
Bien entendu, ce texte adopté ne peut tout corriger et il ne permet pas d’effacer le drame d’une mort sur la route. Mais il propose un cadre symbolique dans lequel les victimes puissent se sentir prises au sérieux.
Ce qu’on peut attendre en matière d’accompagnement
Dans un tel contexte, rappelons qu’il est indispensable, du côté des victimes de pouvoir s’entourer de professionnels du droit qui œuvrent régulièrement dans le champ de la responsabilité routière. Un avocat des victimes d’homicide routier compétent pourra vous guider dans la défense de votre dossier, la compréhension des enjeux juridiques, et surtout dans l’expression de votre douleur au sein du procès.
Ce soutien n’est pas qu’administratif. Il est aussi émotionnel. Il permet de ne pas traverser seul(e) une procédure souvent longue, parfois injuste, toujours éprouvante. L’avenir nous dira aussi si la reconnaissance du terme “homicide routier” pourra offrir un levier supplémentaire aux conseils juridiques pour obtenir une prise en compte plus fidèle de la gravité des faits en matière d’indemnisation.
Ce que cette évolution juridique apporte donc, au-delà du symbole, c’est peut-être aussi une place plus grande pour l’humain dans la machine judiciaire.
Envisager les effets à long terme de la réforme
Si le Sénat confirme dans les semaines à venir l’adoption de cette proposition de loi, la France pourrait disposer d’un nouvel outil de qualification pénale, qui aura pour vocation de mieux répondre à l’exigence de justice exprimée par les citoyens. Ce ne sera pas une rupture, mais une inflexion importante dans la manière de concevoir les responsabilités sur la route.
À long terme, il est permis d’espérer que ce changement de qualification permette une meilleure prise de conscience des risques, et donc une baisse des comportements à risque. Lorsque la société nomme clairement ce qu’elle considère comme grave, elle peut aussi espérer que les citoyens adaptent leur comportement.
Il faut que cette loi, une fois votée définitivement, soit pleinement mise en œuvre, que les juges s’en emparent, que les avocats l’utilisent, et que les familles trouvent en elle un appui dans leur quête de sens. Car au fond, ce que chacun souhaite, c’est que la route cesse d’être ce lieu où des vies sont fauchées par imprudence, inconscience ou désinvolture.